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L’Afrique, la plus touchée par l’énorme fardeau des résistances bactériennes
Un article du Lancet estime la mortalité annuelle due à la résistance de bactéries aux traitements antibiotiques. L’Afrique de l’Ouest est la région où le taux est le plus élevé.
Le Lancet vient de publier les résultats d’une étude qui constitue l’analyse la plus complète réalisée à ce jour sur le fardeau des résistances bactériennes aux traitements antibiotiques. Un article qui restera sans aucun doute un document de référence sur le sujet pour les prochaines années.
La résistance bactérienne aux antimicrobiens (RAM) survient lorsque la pression exercée par les antibiotiques utilisés pour combattre les infections entraine des modifications au sein des bactéries, rendant ces antibiotiques moins efficaces. Ce phénomène, bien connu et décrit dès la découverte des mécanismes d’action des premiers antibiotiques, est en train de devenir une véritable menace pour la santé publique. Un précédent rapport, commandité par le gouvernement britannique et publié en 2016, avait estimé qu’en 2050, la RAM pourrait être responsable de la mort de 10 millions de personnes par an. https://wellcomecollection.org/works/thvwsuba/items
Ces prévisions très alarmistes ont été critiquées par certains auteurs, néanmoins il existe maintenant un large consensus sur le fait que la résistance aux antimicrobiens est une menace potentielle grave pour la santé humaine dans le monde entier.
L’un des principaux défis à relever pour lutter contre la résistance aux antimicrobiens est, dans un premier temps, de connaitre le véritable fardeau de la résistance, en particulier dans les endroits où la surveillance est minimale et les données rares.
Parmi les informations extrêmement nombreuses présentes dans ce rapport, on retient quelques données et chiffres essentiels :
1. Environ 4,95 millions (3,62–6,57) de décès associés à la RAM bactérienne en 2019, dont 1,27 millions (95 % UI 0,911–1,71) de décès attribuables à la RAM.
2. Le fardeau le plus élevé concerne l’Afrique sub-saharienne: le taux de mortalité le plus élevé, tous âges confondus, attribuable à la résistance, est observé en Afrique de l’Ouest, avec 27,3 décès pour 100 000 (20,9–35,3).
Figure 2. All-age rate of deaths attributable to and associated with bacterial antimicrobial resistance by GBD region, 2019.
Estimates were aggregated across drugs, accounting for the co-occurrence of resistance to multiple drugs. Error bars show 95% uncertainty intervals. GBD=Global Burden of Diseases, Injuries, and Risk Factors Study.
3. Les 3 syndromes les plus fréquemment retrouvés étaient responsables de 78,8 % des décès attribuables à la RAM en 2019 :
- Infections des voies respiratoires inférieures : plus de 1,5 million de décès associés à la RA, et 400 000 décès attribuables,
- Septicémies,
- Infections intra-abdominales.
Figure 3. Global deaths (counts) attributable to and associated with bacterial antimicrobial resistance by infectious syndrome, 2019.
Estimates were aggregated across drugs, accounting for the co-occurrence of resistance to multiple drugs. Error bars show 95% uncertainty intervals. Does not include gonorrhoea and chlamydia because we did not estimate the fatal burden of this infectious syndrome. Bone+=infections of bones, joints, and related organs. BSI=bloodstream infections. Cardiac=endocarditis and other cardiac infections. CNS=meningitis and other bacterial CNS infections. Intra-abdominal=peritoneal and intra-abdominal infections. LRI+=lower respiratory infections and all related infections in the thorax. Skin=bacterial infections of the skin and subcutaneous systems. TF–PF–iNTS= typhoid fever, paratyphoid fever, and invasive non-typhoidal Salmonella spp. UTI=urinary tract infections and pyelonephritis.
4. Les six principaux agents pathogènes responsables des décès associés à la résistance :
- Escherichia coli,
- Staphylococcus aureus,
- Klebsiella pneumoniae,
- Streptococcus pneumoniae,
- Acinetobacter baumannii,
- Pseudomonas aeruginosa.
Ils ont été responsables de 929 000 (660 000–1 270 000) décès attribuables à la RAM et 3,57 millions (2,62–4,78) de décès associés à la RAM, en 2019.
5. Une combinaison agent pathogène-médicament, S. aureus résistant à la méticilline (SARM), a causé à elle seule plus de 100 000 décès attribuables à la RAM en 2019. Six autres combinaisons ont causé chacune 50 000 à 100 000 décès :
- Tuberculose multirésistante (MDR-TB) à l’exclusion de la tuberculose ultrarésistante (XDR-TB),
- E. coli résistant aux céphalosporines de 3e génération,
- A. baumannii résistant aux carbapénèmes,
- E. coli résistant aux fluoroquinolones,
- K. pneumoniae résistant aux carbapénèmes,
- K. pneumoniae résistant aux céphalosporines de 3e génération.
Cette analyse montre que la RAM bactérienne est un problème majeur de santé mondiale constituant une menace pour la santé humaine en Afrique subsaharienne, en Asie du Sud, et dans toutes les régions. Lutter contre le fardeau mondial de la RAM nécessite de développer des infrastructures de laboratoire, permettant d’améliorer la prise en charge des patients et la qualité des données sur la RAM à l’échelon local et mondial, mais aussi la surveillance et le renforcement des plans d’action nationaux sur la résistance aux antimicrobiens.
La méthodologie utilisée a reposé dans un premier temps sur une analyse de données provenant de revues systématiques de la littérature, de systèmes hospitaliers, de systèmes de surveillance et d’autres sources, couvrant 471 millions d’enregistrements individuels ou isolats et 7585 études-lieu-années. Puis, sur la base de systèmes de modélisations, la méthodologie a permis d’estimer le nombre de décès ainsi que le nombre d’années de vie en bonne santé perdues (DALY en anglais, pour Disability Adjusted Life Years) associés et attribuables à la RAM pour 23 agents pathogènes et 88 combinaisons agent pathogène-médicament dans 204 pays et territoires en 2019.
Françoise Gay-Andrieu, SFMTSI
Les articles signés n’engagent pas la responsabilité de la SFMTSI
Murray C. et al. Global burden of bacterial antimicrobial resistance in 2019: a systematic analysis
Lancet, Volume 399, Number 10325, p.605-694
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