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La fistule obstétricale, lèpre secrète de la femme africaine…

Les fistules génito-urinaires handicapent des centaines de milliers de femmes dans les pays en développement, souvent à cause de mariages précoces. Des solutions chirurgicales existent pourtant.

« Rencontrer une seule de ces femmes est profondément bouleversant. Pleurant son seul enfant mort-né, incontinente, honteuse de son aspect repoussant, rejetée par le mari, sans abri, elle vit sans amis, sans famille… sans espoir ! Silencieuse, elle souffre totalement la vie entière… »

Dr Reginald et Catherine Hamlin, Addis Ababa Fistula Hospital

Dans certains pays d’Afrique, il est des pathologies dont on ne parle pas parce qu’elles sont liées à la reproduction et aux coutumes du pays qui veulent qu’à 15 ans à peine les femmes soient mariées. Les fistules obstétricales sont des maladies taboues et celles qui en souffrent, considérées lépreuses.

Un fléau caché

Quasiment inconnues en Europe les fistules génito-urinaires obstétricales touchent dans les pays insuffisamment médicalisés plusieurs millions de jeunes femmes, principalement en Afrique surtout dans la ceinture sahélienne (Ethiopie, Somalie) et dans toute l’Afrique francophone.

À peine âgées de 12 à 16 ans, issues de milieux ruraux démunis, presque toujours illettrées, ces femmes vivent un drame qui en fait des exclues, mises à l’écart par l’odeur pestilentielle qu’elles dégagent, conséquence de leur incontinence des urines et parfois des matières. Mariées très jeunes, alors que leur bassin trop étroit n’est pas encore formé et que la vulve est souvent rétrécie conséquence des mutilations rituelles, leur premier accouchement est rendu difficile et compliqué. Le travail se prolonge plusieurs jours alors que l’enfant est mort très rapidement. Un très grand nombre décèdent.

Leur vessie ayant été comprimée pendant plusieurs jours par la tête de l’enfant bloqué, celles qui survivent vont voir apparaitre à ce niveau un orifice appelé « fistule » conséquence de la chute d’une escarre secondaire à la privation de la circulation sanguine. Selon l’importance du traumatisme obstétrical la fistule varie de la taille d’une tête d’épingle jusqu’à la déchirure complète de la vessie et parfois du rectum, laissant échapper sans discontinuer jour et nuit urines et excréments.

Une horreur physiologique et sociale

Considérées impures, ces malheureuses, rejetées, répudiées par leur mari, survivent misérablement dans la honte, ne pouvant stopper un mince filet d’urine qui s’écoule en permanence le long des jambes laissant de petites flaques sur le sol, humide signature du malheur… Parfois même les nerfs des membres inférieurs sont atteints et il leur est difficile de marcher appuyée sur un bâton. Dès lors, elles sont souvent réduites à se prostituer et à mendier pour survivre, éventuellement payer l’opération qui les délivrera de cette souffrance d’un autre âge, comme le fut la lèpre.

Une opération réussie équivaut à une résurrection

Parce que pauvres et non soignées ces femmes sont souvent condamnées à une mort lente par désespoir au terme d’une vie de honte et d’isolement. Or dans la grande majorité des cas une intervention chirurgicale est possible qui permet sous anesthésie loco-régionale, en utilisant des procédés plus ou moins complexes selon l’importance de la lésion, de reconstruire la paroi vésicale déchirée et de restaurer la fonction sphinctérienne, pour redonner à la femme une vie génitale et conjugale normale seule vraie guérison…

Si le chirurgien a suffisamment d’expérience, le taux de réussite complète toutes fistules confondues est de l’ordre de 80 %. La fistule refermée, la patiente est continente et se réinsère dans la société dans la mesure où elle a été opérée rapidement, avant que le bruit de la perte des urines ne se soit répandu dans le village. À ce titre la fistule obstétricale est une urgence sociale.

Infirmité de pauvres

Longtemps considérée comme l’une des maladies les plus humiliantes qui accablaient les femmes au siècle dernier en Europe comme aux Etats Unis, la fistule obstétricale est l’exemple type d’une affection découlant du sous-développement socio-économique. Elle reste avant tout une infirmité de pauvres réservée à celles qui n’ont pas accès à des soins médicaux de bonne qualité. Ainsi dans de très nombreux pays encore, et en Afrique en particulier, les femmes accouchent dans des conditions précaires, loin de toute structure médicalisée, avec pour seule assistance celle d’une accoucheuse traditionnelle, sans formation obstétricale et de notions de dystocie. Le rôle de ces dernières se résume bien souvent à écarter le mauvais sort et aider la patiente par la prise de décoctions, tout en pressant sur l’abdomen, voire en s’asseyant dessus !

Mariages précoces

La tradition du mariage précoce d’une fille, par souci de préserver l’honneur familial, d’autant plus qu’elle est vierge, reste sans conteste l’une des causes du nombre élevé de fistules. En effet 95 % des « femmes enfants » sont mariées avant ou dès leur première menstruation, la croissance de leur bassin étant inachevée. De plus le premier accouchement doit avoir lieu dans la maison de la mère où la décence exige que la jeune parturiente souffre seule, en étouffant ses plaintes pendant le travail, ce qui retarde toute aide médicale.

Perspective d’avenir

Bien qu’aujourd’hui encore aucune donnée satisfaisante ne précise l’étendue réelle des fistules génito-urinaires, on peut estimer à 500 000 le nombre de femmes qui en sont victimes chaque année dans le monde. Or, elles sont presque toujours évitables, la solution étant d’en prévenir la survenue par l’émancipation et l’amélioration de la condition des femmes, qui doivent être mieux considérées, mieux instruites, mieux nourries, par un meilleur accès à la planification familiale et un meilleur suivi des grossesses avec des soins obstétricaux de qualité. Si plus de trois femmes sur quatre traitées peuvent être guéries, c’est dire que le « mythe de l’échec » passe par l’obtention auprès de chirurgiens bien formés d’une réparation de qualité qui permette la délivrance de leurs tragédies cachées et une réinsertion sociale.

Dr Ludovic Falandry, chirurgien spécialisé

Les articles signés n’engagent pas la responsabilité de la SFMTSI

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