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Covid-19, le paradoxe africain

L’émergence de la pandémie de Covid-19 a fait naître les opinions les plus alarmistes sur le risque d’explosion de la crise sanitaire en Afrique. Les mois ont passé, le SARS-CoV-2 s’est propagé dans tout le continent africain, parsemant chaque pays d’un cortège de victimes, mais après un an, la catastrophe majeure annoncée, le « Big One », n’est pas survenue.

Bien que le seuil des trois millions de cas ait été dépassé en janvier 2021, l’Afrique reste le continent le moins touché par la Covid-19. D’importantes disparités opposent l’Afrique du Nord, l’Égypte, le Nigéria et l’Afrique du Sud, plus fortement atteints, à la majorité des pays d’Afrique intertropicale stricto sensu relativement épargnés. Alors que la sévérité de la pandémie laissait craindre une hécatombe dans les pays ne disposant pas d’infrastructures hospitalières suffisantes pour supporter un afflux massif de malades requérant une oxygénothérapie, le nombre total de décès par Covid-19 sur le continent africain (85 000 pour 1,2 milliard d’habitants) vient tout juste d’excéder celui de la France (75 000 pour 7 millions d’habitants).

De nombreuses hypothèses ont été avancées pour expliquer le fait que l’Afrique cumule moins de 5 % des cas mondiaux de Covid-19 ; citons avec Debajyoti Ghosh et al. :

1- La jeunesse de la population: dans la plupart des pays africains, 3 % seulement de la population sont âgés de plus de 65 ans. L’infection par le SARS-CoV-2 est moins sévère chez les sujets jeunes. Or, selon l’OMS, « environ 91 % des cas d’infection par Covid-19 en Afrique subsaharienne concernent des personnes de moins de 60 ans, et plus de 80 % des cas sont asymptomatiques ».
2- Le climat tropical : il favorise un mode de vie en milieu ouvert alors que la viabilité du SARS-CoV-2 est significativement réduite quand la température est élevée et que l’humidité relative est faible.
3- L’immunité innée serait renforcée par les multiples agressions parasitaires, microbiennes et virales auxquelles sont exposés les enfants africains, ainsi que par la vaccination BCG dont la couverture vaccinale est d’environ 80 % dans la majorité des pays.
4- Une capacité de riposte très réactive face aux épidémies par des États antérieurement confrontés à d’autres alertes (choléra, méningites, fièvre jaune et plus récemment Ebola).
5-Les facteurs génétiques : en effet des fragments chromosomiques, hérités de nos ancêtres néanderthaliens, multiplieraient par trois le risque de faire une forme grave de détresse respiratoire en cas de Covid-19 ; or ils ne sont pas également répartis dans le monde et sont quasiment absents du continent africain.
6-La surveillance épidémiologique : un moindre accès aux tests de dépistage, par RT-PCR, un moins bon circuit de remontée et d’analyse des données sanitaires peuvent sous-estimer gravement la réalité de la diffusion épidémique.

Des publications récentes testent certaines de ces hypothèses. Nous livrons ici quelques notes de lectures.

Concernant d’abord les hypothèses démographiques, Yakubu Lawal a compilé des données démographiques d’avant la pandémie (disponibles en ligne) pour une sélection de 23 pays des quatre continents, dont 12 d’Afrique intertropicale. Le choix raisonné des pays inclus dans l’étude en limite la portée. L’auteur a recherché l’existence d’un lien entre la distribution de certaines caractéristiques de population et les taux de mortalité par Covid-19 nationaux, puis de même avec les taux de létalité nationaux. L’auteur montre ainsi que le taux de mortalité national par Covid-19 était significativement corrélé avec l’âge moyen de la population (r = 0,66, p < 0,001), c’est-à-dire que c’est dans les pays dont l’âge moyen est le plus élevé que le taux de mortalité par Covid-19 l’était aussi. Le lien est le même pour l’espérance de vie (r = 0,58, p = 0,003) et pour la « proportion de mortalité à 65 ans et plus avant l’émergence de la Covid-19 » (r = 0,66, p < 0,001). Les mêmes corrélations sont trouvées pour le taux de létalité par Covid-19. Or les pays africains retenus dans cette étude sont les pays où l’âge moyen et l’espérance de vie étaient les plus bas parmi les 23 retenus, tout comme la proportion de mortalité des 65 ans et plus.

For Yue Tso et al. ont voulu tester l’hypothèse selon laquelle l’exposition pré-pandémique de la population en Afrique intertropicale à d’autres coronavirus humains entraînerait un certain degré de protection croisée contre le SRAS-CoV-2. Pour cela des échantillons de plasma collectés en Zambie, en Tanzanie et aux États-Unis entre 2005 et 2019, avant la pandémie de Covid-19, ont été testés par une méthode innovante d’immunofluorescence pour détecter des anticorps dirigés contre les protéines de spicule et de nucléocapside de tous les coronavirus humains connus (HCoV). Bien que l’échantillonnage ne soit absolument pas représentatif des populations nationales comparées, les auteurs ont constaté une réactivité sérologique croisée envers le SRAS-CoV-2 plus importante dans les échantillons africains : la plupart de ces plasmas reconnaissaient la protéine de nucléocapside du SRAS-CoV-2 et les protéines de spicule d’autres HCoV. Les protéines de nucléocapside du HCoV-NL63 et du HCoV-229E ont été détectées dans la plupart des échantillons africains, ce qui implique une exposition préalable à ces deux coronavirus comme origine probable de la réaction croisée vis-à-vis du SRAS-CoV-2. Les auteurs spéculent dès lors que les faibles incidences de l’infection par le SRAS-CoV-2 et de la Covid-19 en Afrique intertropicale pourraient être corrélées à une protection croisée résultant d’infections pré-pandémiques par des HCoV qui y sont nettement plus répandus qu’aux États-Unis.

En conclusion, le sujet est passionnant et n’aura peut-être pas de réponse uniciste. De plus ces travaux disponibles ont tous été conduits avant que la seconde vague n’inonde l’Afrique et que des variants viraux y apparaissent. D’autres travaux qui prendront en compte les données de cette nouvelle épidémie et les résultats de recherches en cours viendront peut-être contredire les opinions de ce début 2021. Le débat reste ouvert.

Jean-Paul Boutin, Yves Buisson, SFMTSI

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Références :
Ghosh D, Bernstein JA, Mersha TB. COVID-19 pandemic: The African paradox. J Glob Health. 2020;10(2):020348. doi:10.7189/jogh.10.020348 (en ligne depuis le 11 septembre, publié en décembre).
Lawal Y. Africa’s low COVID-19 mortality rate: A paradox? International Journal of Infectious Diseases 102 (2021) 118–122.  doi.org/10.1016/j.ijid.2020.10.038 (rédigé en août, accepté en octobre).
For Yue Tso et al. High prevalence of pre-existing serological cross-reactivity against severe acute respiratory syndrome coronavirus-2 (SARS- CoV-2) in sub-Saharan Africa. International Journal of Infectious Diseases 102 (2021) 577–583 (soumis et accepté en octobre).

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