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Les 10 années de la chimio-prévention du paludisme saisonnier (CPS) en 10 points essentiels

Médard DJEDANEM* (1), Ronan JAMBOU (1,2)

1. Centre d’étude et de recherche médicale et sanitaire (CERMES), BP 10887 Niamey, Niger

2. Département Santé globale, Institut Pasteur, 75015 Paris, France

* [email protected]

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ÉDITORIAL

La chimio-prévention du paludisme saisonnier (CPS) est recommandée par l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) depuis 2012, dans les zones où le paludisme sévit de façon endémique mais saisonnière.

1. Qu’est-ce que la CPS ?

Elle consiste à administrer un traitement antipaludique systématique complet (sur trois jours) aux enfants non malades à base de Sulfadoxine-Pyriméthamine+Amodiaquine (SPAQ). Le traitement est renouvelé chaque mois pendant trois à cinq mois au cours de la saison des pluies. Elle concerne les enfants de 3 à 59 mois. Ce traitement reste actif environ 28 jours après son administration.

2. Quels pays l’utilisent ?

Treize pays d’Afrique de l’Ouest et centrale (Bénin, Burkina Faso, Cameroun, Gambie, Ghana, Guinée, Guinée-Bissau, Mali, Niger, Nigéria, Sénégal, Tchad, Togo) l’appliquent à l’échelle nationale ou régionale.

3. La CPS est-elle efficace ?

Il est difficile d’établir des données sur l’efficacité de la CPS elle-même, car elle est toujours associée à d’autres stratégies de lutte. Plusieurs pays africains avancent des chiffres entre 55 et 73 % de réduction de l’incidence du paludisme simple chez les enfants de moins de 5 ans, une réduction de 26 % de l’incidence du paludisme grave et de 42 à 48 % de la mortalité due au paludisme. Mais attribuer ces succès à la CPS reste difficile.

4. Quelle est la couverture globale réelle des enfants cibles en Afrique ?

Le taux de couverture de la CPS est également difficile à appréhender, avant tout pour des problèmes de recensement des populations cibles. La deuxième difficulté repose sur l’inobservance des 2e et 3e doses prises à domicile. Enfin, il est également difficile de revoir trois à cinq fois le même enfant sur une saison de transmission. Au Niger en 2021 le taux de couverture était estimé à 99,94 %, variant de 92,35 % à Maradi, à 108,38 % à Niamey. De même le Sénégal déclarait 90 % de couverture et la Gambie 74 % la même année. Ces taux supérieurs à 100 % illustrent bien les problèmes d’estimation des populations cibles.

5. La CPS est-elle bien acceptée ?

La CPS est largement acceptée par les familles dans la plupart des pays africains. Néanmoins des effets indésirables sont rapportés comme les vomissements, la diarrhée, et des éruptions en lien le plus souvent avec l’amodiaquine. Cependant c’est la compliance réelle au traitement complet de trois jours qui pose un problème, car les parents préfèrent garder les 2e et 3e doses en réserve en cas d’accès fébrile.

6. Quel coût pour cette stratégie ?

Le coût global de la CPS est évalué par l’OMS à environ 3,6 dollars par enfant et par an dans différents pays africains. Mais il est probable que ce coût soit sous-estimé. L’essentiel du coût réside dans la logistique à mettre en place pour accéder aux enfants (les équipes faisant des passages à domicile). Au Niger où les populations se dispersent sur de vastes territoires sahéliens, le coût de la CPS est estimé à 40 millions d’USD chaque année.

7. Quelles sont les difficultés actuelles ?

Les obstacles majeurs à l’application de la CPS sont : i) sa logistique complexe pour atteindre les communautés, surtout lorsque l’insécurité et les difficultés d’accessibilité sont nombreuses ; ii) les difficultés à retrouver trois à cinq fois le même enfant sur la saison pour le traiter ; iii) les difficultés à établir des recensements permettant une programmation logistique efficace et une évaluation de l’efficacité réaliste.

8. Comment améliorer l’efficacité de la CPS ?

  • Le coût de la CPS reste un problème pour une prise en charge sur le long terme. Réduire les coûts passe par une mutualisation des campagnes de prise en charge communautaires avec d’autres programmes comme la détection de la malnutrition et de la tuberculose. Ce qui se met en place dans des pays comme le Niger.
  • Adapter la CPS aux classes d’âge : actuellement la CPS n’est déployée que chez les enfants de moins de 5 ans. Cependant, dans les zones de transmission hypo- ou méso-endémique on constate une augmentation significative des cas de paludisme chez les enfants de plus de 5 ans moins bien protégés. La CPS devrait donc être étendue jusqu’à l’âge de 10 ans selon le contexte épidémiologique local.
  • Inclure les zones sahélo-sahariennes : la CPS ne concerne actuellement que les zones de pluviométrie supérieure à 600 mm d’eau, alors que le paludisme très saisonnier serait sans doute le plus impacté par une stratégie de traitement systématique des enfants.

9. La chimiorésistance va-t-elle compromettre l’efficacité de la CPS ?

La CPS s’inspire des anciennes stratégies de quininisation, puis de nivaquinisation qui ont été mises en péril par l’apparition des chimiorésistances. La résistance à la SP progresse partout en Afrique, comme le montre le pourcentage des souches triples à quintuples mutantes pour la dihydropteroate synthetase (DHPS)/dihydrofolate reductase (DHFR) (actuellement de l’ordre de 15 à 20 % dans toutes les études). L’adjonction d’une molécule partenaire préserve encore l’efficacité de la combinaison, mais il serait bon de repenser dès maintenant cette stratégie qui est aussi utilisée en traitement préventif chez la femme enceinte. D’autant qu’il n’est pas envisageable d’utiliser les dérivés de l’artémisinine réservés au traitement des malades. 

10. Les changements environnementaux et climatiques vont-ils compromettre la CPS ?

En Afrique et particulièrement au Sahel, l’urbanisation et les changements climatiques modifient rapidement les écosystèmes. Le paludisme sévit maintenant tard dans la saison sèche (jusqu’à février-mars au Niger) et des cycles de traitement devraient être envisagés pendant la saison sèche. Ces changements de biotopes sont également associés à des modifications des espèces vectrices avec un retour rapide d’Anopheles funestus dans le Sahel, mais surtout avec l’invasion de l’Afrique de l’Ouest et centrale par An. stephensis. Ce vecteur des mégapoles indiennes compromet l’avenir de toutes les stratégies de lutte contre le paludisme en Afrique, où 60 % de la population sera urbaine en 2050.

En conclusion

Après 10 ans, la CPS a montré son intérêt comme moyen de lutter dans le cadre d’une stratégie intégrée de contrôle du paludisme. Cependant de grands dangers pèsent sur son avenir, et son application devrait dès maintenant être adaptée aux changements de biotope que subit l’Afrique.

Les articles signés n’engagent pas la responsabilité de la SFMTSI

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