Voir la présentation donnée par Robert Aquaron lors de la Journée scientifique de la SFMTSI du 25 mai 2022 « Maladies tropicales et pauvreté : impact sur les droits de la femme et de l’enfant« .

Le concept de Maladie Tropicale Négligée (MTN) a été structuré autour d’un axe fondateur : l’impact de ces maladies sur les droits de l’homme. Paul Hunt, alors membre du Comité des Nations Unies sur les droits économiques, sociaux et culturels et rapporteur spécial sur le droit au meilleur état de santé, alimenta et contribua à cette réflexion.

Une liste non exhaustive de ces maladies a été établie par l’OMS qui comprend principalement des parasitoses et des maladies infectieuses.

Bien qu’étant une affection génétique de transmission autosomique récessive, on propose que l’albinisme oculocutané (AOC) en Afrique Subsaharienne, aussi bien dans les pays anglophones que francophones, a sa place dans le cadre des MTN car les albinos ou « personnes atteintes d’albinisme » doivent avoir accès à tous les droits précédemment énoncés : économiques, sociaux, culturels (absence de discrimination) et la santé (individuelle et collective).

La naissance d’un enfant albinos, fille ou garçon, de deux parents de peau noire a toujours été une énigme pour les populations africaines. L’enfant albinos possède tous les caractères morphologiques des parents (cheveux crépus, nez épaté, lèvres épaisses) mis à part la coloration blanche de la peau, blonde des cheveux et bleue ou noisette des iris. Pour essayer d’expliquer cette naissance inhabituelle, les africains ont eu recours à diverses croyances qui se situent avant et/ou pendant la grossesse et qui touchent principalement la mère : se moquer d’un albinos, avoir des relations sexuelles adultérines ou avec un homme blanc ou pendant la période des menstrues.

Considéré comme un authentique « africain blanc », l’albinos n’en reste pas moins ressenti comme appartenant à un monde magique qui fait de lui une créature humaine intermédiaire et inachevée mi-homme, mi-Dieu, doué de pouvoirs innés qui peut faire le bien ou le mal. Il peut ainsi jouer un rôle social et culturel. Il est affublé de termes jugés positifs comme le « blanc » « bon blanc » ou négatifs » nguengerou ». Il occupe une place intermédiaire entre les nains réputés stériles et les jumeaux produits d’une nature trop généreuse. Cette particularité a fait des albinos spécialement les enfants la proie de crimes rituels et de mutilations en vue d’utiliser certains de leurs organes (bras, jambes, organes génitaux) pour la préparation de talismans ou gris-gris qui sont supposés porter chance, santé, prospérité, conjurer les maladies ou les mauvais sorts. C’est ainsi qu’au Mali lors des périodes d’examen ou d’événements politiques importants comme certaines élections, Présidence de la République ou autres, les albinos restaient cachés chez eux de peur d’être attaqués. En Tanzanie près de Mwanza situé au bord du lac Victoria, région pauvre, le seul espoir de subsister réside dans le commerce du poisson et la recherche de diamants dans les mines. Pour ces deux raisons, les crimes rituels et les mutilations des albinos sont malheureusement toujours pratiqués.

Toutes ces exactions, jusqu’à la fin du XXème siècle, étaient seulement connues localement et n’étaient pas diffusés dans les médias étatiques ou internationaux. En 2008 des crimes rituels à grande échelle en Tanzanie et au Burundi ont été rapportés dans la presse écrite et parlée, africaine et internationale grâce à l’action d’une ONG canadienne opérant en Tanzanie, l’UTSS, « Under The Same Sun ». Son président, Peter Ash, a porté ce tragique événement à la connaissance du Président de la république de Tanzanie, Mr Jayata Kikwele, qui a condamné vigoureusement ces assassinats et le commerce des parties de leur corps. Il a aussitôt proposé une albinos, Madame Al-Shymaa Kway-Geer, comme députée au parlement tanzanien. Ce fut un bel exemple de la reconnaissance de la « personne albinos ». Peter Ash a continué son action en faveur des albinos en sollicitant les instances internationales, l’ONU et en particulier celles en chargent de la santé, l’OMS, et de l’éducation, de la science et de la culture, l’UNESCO (United Nations Educational, Scientific and Cultural Organization). Son action a été déterminante pour l’adoption par l’assemblée générale des Nations Unies le 13 juin 2013 d’une résolution au sujet des agressions et des discriminations à l’encontre des albinos.

En 2014 l’Assemblée générale des Nations Unies a proclamé le 13 juin, « Journée internationale de sensibilisation à l’albinisme ». Cette date a été fêtée avec brio deux ans plus tard au siège de l’UNESCO à Paris le 13 juin 2016. Les allocutions de S.E.M Jacques Kabale, Ambassadeur et président du groupe africain, de Peter Ash, Président de l’association UTSS, et de Firmin Matoko, Sous-Directeur général pour l’Afrique de l’UNESCO, ont inaugurées cette journée au cours de laquelle différentes interventions ont eu lieu réparties en 4 sessions : a) le panel des scientifiques et des médecins a traité de « La médecine face à l’albinisme », b) un film documentaire « black man-white skin « a retracé le séjour en Tanzanie de médecins et chirurgiens espagnols pour soigner les cancers de la peau si fréquents chez les albinos, c) une exposition photo « blanc ébène » a présenté de beaux portraits mettant en valeur la beauté attachante des albinos et d) Le panel des associations d’albinos « l’albinisme au quotidien-témoignages » avec les associations françaises (Genespoir), canadiennes (UTSS) et africaines (SIAM du Mali et HEMA du Burkina Faso).

Il est important à ce stade-là de développer le rôle important  qu’a joué la création de ces associations d’albinos dont les buts étaient : réunir les albinos et leur famille,  leur apporter les informations nécessaires sur la cause de leur affection, informer les  parents sur la façon d’élever ces enfants en leur apprenant à se protéger du soleil pour éviter les futurs cancers de la peau en raison de l’absence du rôle protecteur de la mélanine, en leur indiquant avec l’aide des instituteurs puis des professeurs de se placer au 1er rang pour bien voir au tableau ou sur leur écran ainsi que le port de lunettes de correction pour compenser leur faible acuité visuelle. En Afrique subsaharienne la 1ère association a été crée au Mali par le célèbre chanteur albinos Salif Keita en 1993 afin de propager une image positive des albinos. En 1996 c’est à Yaoundé, Cameroun, que l’ASMODISA (ASsociation Mondiale pour la Défense des Intérêts et de la Solidarité des Albinos) a vu le jour grâce à JJ Ndoudoumou, un albinos, conseiller auprès du premier Ministre. A cette occasion je fus nommé Président d’honneur en raison de mon implication dans les divers aspects de la lutte contre cette affection pendant les cinq années de mon séjour au Cameroun. Par la suite de nombreux pays africains francophones et anglophones ont créé leur association dirigée par des albinos ou parents d’albinos.

Pour terminer, l’albinisme oculocutané, ainsi appelé en raison de l’importance des troubles affectant la peau et la vision, est désormais classé en plusieurs catégories en fonction de l’anomalie moléculaire détectée : l’AOC de type 1 est due à l’inactivité de la tyrosinase, l’enzyme qui catalyse la 1ère étape de la mélanogénèse, l’AOC de type 2 à l’absence d’activité de la protéine « P » qui régule la mélanogénèse. Il existe actuellement 17 gènes impliqués dans la mélanogénèse et ses anomalies. L’AOC2 est le type d’albinisme le plus fréquent en Afrique subsaharienne.

Robert Aquaron (Marseille, France)

Cet article engage son auteur et ne reflète pas nécessairement le point de vue de la SFMTSI.