Les accidents d’exposition aiguë aux insecticides sont généralement bien connus, surtout lorsqu’ils prennent leur origine comme gaz de combat. C’est plus insidieux pour les expositions chroniques à de faibles doses. Ou comment Zika est aidé par un pesticide.

On pouvait espérer que les nouvelles molécules arrivant sur le marché, en particulier agricole, soient exemptes d’effets pour les organismes supérieurs. Mais ceci semble une utopie même pour des expositions à de très faibles doses. Lorsqu’un spécialiste des hormones thyroïdiennes est en séjour postdoctoral au Muséum national d’histoire naturelle à Paris cela peut déboucher sur une trouvaille qui interroge hormonologie, virologie, médecine tropicale, compréhension des émergences, programme de santé publique et finalement réflexion épistémologique sur les différentes inventions humaines.

Le travail que Pieter Vancamp et Babara Demeneix viennent de présenter comme une véritable enquête, mais très simplement, dans The Conversation du 20 septembre 2021 (en français et anglais, et publié ce même mois dans Environnemental Pollution), pose la question des interactions entre l’épidémie de fièvre à virus Zika en 2015 au Brésil et l’usage concomitant du pyriproxyfène comme insecticide dans les régions du Nordeste. Dans ces régions l’incidence des microcéphalies chez les nourrissons nés de mère atteintes du Zika pendant la grossesse était plus élevée qu’ailleurs au Brésil, mais aussi le pyriproxyfène y est employé depuis 2014, en adjonction dans les réseaux d’eau potable pour tenter de contrôler les populations d’Aedes aegypti. Malheureusement, l’insecticide s’est accumulé dans l’environnement, jusqu’à se retrouver dans le corps humain malgré les recommandations de l’OMS de limiter les concentrations dans l’eau potable à 0,01 mg/l.

Les auteurs décrivent comme dans une enquête comment ils ont, étape par étape, remonté le processus pathogène liant l’insecticide et le virus pour ce résultat dramatique. Ils ont ainsi démontré que le pyriproxyfène perturbe la signalisation des hormones thyroïdiennes, modifiant des processus cruciaux pour le bon développement cérébral du fœtus. Les hormones thyroïdiennes (T3 et T4) sont en effet essentielles à la croissance et au développement du cerveau chez les fœtus, et l’on sait que sans hormones conformes le cerveau ne se développe pas normalement avec pour conséquence un faible quotient intellectuel et d’importants handicaps mentaux.

La première étape de recherche a commencé en démontrant sur des têtards de xénope (Xenopus laevis) génétiquement modifiés puis exposés au pyriproxyfène, un blocage de l’action de la triiodothyronine (T3) avec pour conséquence un développement cérébral et des comportements anormaux.

On sait par ailleurs que l’un des rôles les plus importants de T3 est d’assurer, pendant le développement de l’encéphale, un équilibre entre le nombre de neurones et celui des cellules gliales. Le pyriproxyfène bloquant l’action normale de l’hormone, les auteurs ont émis, à la deuxième étape, l’hypothèse qu’il pourrait en fait perturber la production de ces cellules de soutien. Pour vérifier, ils ont cultivé des cellules souches de cerveau de souris et les ont exposées à des doses croissantes de pyriproxyfène. Les résultats sont parlants. Plus la dose était élevée, moins de cellules gliales étaient produites et plus elles mouraient. Le ratio entre cellules nerveuses et cellules gliales s’en trouvait donc déséquilibré.

Pour aller plus loin dans la compréhension du trouble induit, ils ont mesuré à la troisième étape le niveau d’expression des gènes dans les cellules souches exposées à l’insecticide. Or un certain nombre de gènes n’étaient pas exprimés normalement dont le gène Msi1, codant pour la protéine Musaschi-1 utilisée par le virus Zika pour se répliquer et infecter d’autres cellules. On sait qu’une augmentation de T3 entraîne une diminution de Musaschi-1. Étant donné que le pyriproxyfène bloque l’action de l’hormone, la protéine Musaschi-1 est présente en plus grande quantité au sein des cellules qui sont exposées à cet insecticide.

C’est pourquoi ils ont envisagé qu’en augmentant la concentration de Musaschi-1, le pyriproxyfène pourrait permettre au virus de se répliquer plus rapidement. Pour le vérifier, à la quatrième étape de leur saga scientifique, ils ont infecté leurs cultures de cellules souches (pour parties exposées à l’insecticide et non exposées) avec le virus Zika. Or à niveau d’infection viral équivalent, dans les cellules exposées au pyriproxyfène le fonctionnement de gènes clés a bien été altéré, ce qui n’a pas été observé dans les cellules non exposées. L’exposition à ce pesticide pourrait donc altérer le développement cérébral, ajoutant à l’impact du virus Zika sur les capacités intellectuelles de l’enfant à naître. CQFD !

Ce n’est pas la première fois qu’un pesticide est suspecté d’influencer l’évolution d’une maladie. Ce n’est pas non plus la première fois qu’un pesticide s’avère être un perturbateur endocrinien. Il est donc plus que nécessaire d’approfondir les recherches sur cette question.

Les auteurs plaident finalement pour que les pesticides soient soumis à des protocoles de tests améliorés, dont les résultats seront utilisables par les décideurs pour étayer leurs politiques de santé. Cette étude souligne encore le faible niveau des connaissances sur les effets néfastes des pesticides sur la santé humaine et animale. Dans le contexte de risque d’épidémies émergentes itératives en lien avec le changement climatique, ce type de données doit déjà nous alerter quant à l’importance de cet enjeu.

Jean-Paul Boutin, GISPE

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