Un peu d’histoire…

Alphonse Laveran

Bene est scire, per causas scire
BACON (cité par LAVERAN)

L’idée de fonder une société comme la Société de patholo­gie exotique (SPE, aujourd’hui Société Francophone de Médecine Tropicale et Santé Internationale, SFMTSI) était dans l’air du temps, comme en témoigne la création de la Royal Society of Tropical Medicine and Hygiene et celle de la Société néerlandaise de médecine tropicale quelques mois auparavant. Créée le 15 novembre 1907 lors d’une séance présidée par Emile Roux, directeur de l’Institut Pasteur, la SPE adoptera ses statuts et son règlement intérieur nommant un bureau présidé par Alphonse Laveran le 20 décembre de la même année.

Fondée formellement le 22 janvier 1908 et déclarée à la Préfecture le 29 jan­vier suivant, la SPE a été reconnue d’utilité publique par décret du 10 décembre 1962, et comme telle habilitée à recueillir dons et legs.

Outre l’objectif d’acquérir des connaissances, ces sociétés répondaient à un double besoin : celui de se pencher sur l’état de santé des populations nouvellement colonisées dans le but de l’améliorer, mais aussi d’utiliser au mieux la force de travail qu’elles représentaient, et celui de protéger les militaires, administrateurs et colons envoyés outre-mer contre les dangers de l’expatriation dans un milieu réputé hostile. Ce n’est pas par hasard que Laveran joua un rôle essentiel dans la fondation de la SPE. Le prix Nobel qui lui fut attribué en 1907 renforça le prestige qu’il avait acquis par sa découverte faite vingt-sept ans auparavant et le plaça tout naturellement au centre des contacts et des démarches qui devaient aboutir à la création de la Société. En outre, Laveran travaillait à l’Institut Pasteur, et les filiales de l’Institut qui s’ouvraient un peu partout dans le monde promettaient d’être un vivier pratiquement inépuisable de membres susceptibles d’apporter à la jeune société dyna­misme, soutien, informations de première main et expérience de terrain. Bien que revenu à la vie civile, Laveran restait un militaire et, comme tel, mieux placé que quiconque pour attirer au sein de la future SPE les médecins que l’armée envoyait en poste dans les nouvelles colonies le plus souvent après un passage par l’Institut Pasteur où ils bénéficiaient d’un statut particulier et de places réservées aux enseignements. Cette relation ambiguë et complexe entre médecine militaire, Institut Pasteur et Société de pathologie exotique s’amenuisa avec le temps, surtout après la décolonisation, mais ne disparut véritablement qu’avec le nouveau siècle.

Lors de la première séance officielle, le 22 janvier 1908 sous la présidence de Laveran, ce dernier conclut son allocution d’ouverture par le constat suivant : « Malgré tous les progrès réalisés dans le domaine de la pathologie exotique, nous n’avons pas à craindre qu’il ne nous reste rien à faire et nous pouvons nous mettre au travail avec le légitime espoir d’être utiles ». A ce propos, il insiste sur la nécessité du concours de tous les médecins militaires et civils qui exercent « dans nos colonies » et sur l’importance des « naturalistes » pour aider à résoudre les « questions d’histoire naturelle médicale qui se poseront devant la Société ».

La Société de pathologie exotique a changé son nom pour Société Francophone de Médecine Tropicale et Santé Internationale en 2019.

Alphonse Laveran donna à la SPE une structure voisine de celle des académies : numerus clausus, membres répartis en plusieurs catégories minutieusement défi­nies, règles de publication strictes, présence obligatoire des membres aux séances faisant l’objet d’un procès-verbal, président élu pour un seul mandat non renouvelable, secrétaires généraux ayant un mandat plus long que celui du président… Cette structure ne changea pas jusqu’à la modification des statuts, d’ailleurs modeste, effectuée en 1932.

Jusqu’à la fin du XXe siècle, les séances mensuelles se tenaient, comme le voulaient les statuts, l’après-midi du deuxième mercredi, sauf pendant l’été. Les membres participant à la séance présentaient une communication ou un mémoire, selon l’importance du sujet. Un débat auquel participait toute l’assemblée suivait l’exposé. Les communications présentées par des membres éloignés étaient lues et commentées de la même façon. Des ouvrages et des pièces adressés par des membres travaillant sur le terrain pouvaient être présentés. Le pré­sident pouvait lire des messages ou des informations qu’il jugeait susceptibles d’intéresser l’assemblée. Jusqu’en 1963, des élections pouvaient avoir lieu : adhésion de nouveaux membres, désignation de membres du Conseil ou de Com­missions affectées à des problèmes particuliers.

Les séances étaient souvent inaugurées par une conférence, délivrée par un invité étranger éminent de passage ou un mem­bre français de grande notoriété.

Les deux secrétaires de séance tenaient un registre et veillaient à réunir les textes des communications et des questions et réponses en vue de leur publication.

Dès la première année, la Société est régulièrement consultée par les autorités sanitaires sur les problèmes de santé tropicale humaine ou animale relevant de sa compétence qui se posent dans les colonies, et ses avis sont habituellement suivis.

En 1910, une lettre est adressée au ministre des colonies au sujet de l’alcoolisme qui sévit dans les colonies françaises ; elle traduit, certes, le souci de la santé des populations, mais celui de la productivité des travailleurs n’est pas absent ; il est d’ailleurs ouvertement reconnu.

En décembre 1912, un vœu sur la nécessité de la répression de l’alcoolisme au Maroc est transmis au ministre des Affaires étrangères et au Résident général de France.

En 1913, la Société envoie au ministère des colonies dix exem­plaires du rapport établi par la commission de l’opium à la suite d’un échange de correspondance avec le ministre. La même année, la Société échange du courrier avec le Résident général du Maroc, le Général Lyautey, sur les mesures à prendre pour lutter contre l’alcoolisme dans le protectorat. En 1914, constatant les ravages que fait l’alcool dans la popula­tion « indigène », un groupe de colons demande la prohibition de la vente de l’alcool « pour éviter que la main d’œuvre ne fasse bientôt défaut », ce qui fait l’objet d’une correspondance entre la SPE et le gouvernement général de l’AEF.

Après la Seconde Guerre mondiale, ces consultations se font de plus en plus rares et ont aujourd’hui disparu, tout comme les interventions de la SPE, nombreuses avant 1945, auprès de l’industrie pharmaceutique pour obtenir la mise à disposition de la population de produits efficaces et bon marché. De nos jours, le soutien institutionnel et technique est apporté par des établissements publics spécialisés (AFD, IRD), des associations (Coordination Sud), ou des ONG (MSF et DNDI) qui ont pris le relais.