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Des maladies bactériennes émergent aussi !

Toutes les maladies infectieuses émergentes ne sont pas forcément virales comme le rappelle la nouvelle épizootie due à une bactérie Sarcina qui affecte des chimpanzés en Sierra Leone.

Depuis 2005, les chimpanzés (Pan troglodytes verus) du sanctuaire de Tacugama, au sud de Freetown, souffrent d’une maladie mortelle d’étiologie inconnue. Ce syndrome neurologique et gastro-entérique épizootique (ENGS) est caractérisé par des signes neurologiques (faiblesse, ataxie, convulsions) et gastro-intestinaux (distension abdominale, anorexie, vomissements). À ce jour, 56 chimpanzés ont été touchés sur une population d’une centaine d’individus dans le sanctuaire, dont 24 sont morts subitement en moins de 12 heures sans que les soignants n’observent de signes avant-coureurs. Parmi les 32 autres, les signes ont persisté pendant une médiane de 6 jours (de 1 à 90 jours) avant la guérison ou le décès. Enfin, tous les individus guéris ont ensuite rechuté et sont morts. La létalité de la maladie est donc de 100 % et la distribution des cas montre un net pic au mois de mars, encore inexpliqué. L’agent étiologique de l’ENGS ne semble pas être transmis directement, comme en témoigne le faible regroupement de cas dans le temps et l’espace.

Une étude cas-témoins a été menée dans le sanctuaire sur 19 individus malades et 14 témoins sains, pour tenter d’identifier l’agent étiologique en cause (1). L’ENGS était significativement associée à une bactérie du genre Sarcina. En effet, 68,4 % des cas étudiés (n = 13/19) étaient positifs par PCR pour cette bactérie, alors qu’aucun témoin ne l’était. Ce résultat, associé au fait que certaines espèces du genre Sarcina, comme S. ventriculi, sont connues pour provoquer des maladies gastro-entériques chez l’homme et les animaux suggèrent que cette bactérie pourrait être l’agent causal de l’ENGS. Des études plus approfondies sont cependant nécessaires.

Les analyses ont également montré que la bactérie suspectée est distincte de S. ventriculi et d’autres espèces connues du genre Sarcina, de par ses caractères morphologiques et de croissance. Le séquençage du génome entier a confirmé cette distinction et révélé la présence de caractéristiques génétiques qui pourraient expliquer sa virulence inhabituelle. Il a donc été proposé de distinguer une nouvelle espèce qui serait dénommée Sarcina troglodytae (1,2).

A ce jour, au Sierra Leone, aucun cas n’a été signalé chez l’Homme, y compris parmi le personnel ayant un contact étroit avec les chimpanzés. Cependant, vu que les humains et les chimpanzés partagent 98,8 % de leur patrimoine génétique et présentent de nombreux agents pathogènes en commun, il est probable que cette bactérie a le potentiel d’être transmise à l’Homme. Il est également possible que d’éventuels facteurs prédisposants (stress, alimentation, conditions environnementales, autres agents pathogènes) diffèrent entre les humains et les chimpanzés.

Pour mémoire, Sarcina est un genre de bactéries Gram-positif dans la famille des Clostridiaceae. S. ventriculi, a été identifiée pour la première fois en 1842 en Écosse par John Goodsir, dans le contenu de l’estomac d’un patient présentant des vomissements récurrents. A ce jour, seuls 44 cas d’infection humaine par des bactéries du genre Sarcina ont été publiés dans la littérature scientifique, dont plus des 3/4 au cours de la dernière décennie (1). S. ventriculi provoque chez les personnes infectées divers symptômes dont des douleurs abdominales, des nausées, de l’anorexie, des vomissements, de l’hématémèse, de la dysphagie, de la diarrhée et une faiblesse généralisée. Un retard de la vidange gastrique est souvent observé. Au niveau histopathologique, S.ventriculi est le plus fréquemment associée à des ulcères gastriques, une gastrite chronique, une duodénite et une œsophagite (3). Aucun traitement standard n’est actuellement disponible chez l’homme pour les infections par des bactéries du genre Sarcina. Parmi les cas publiés pour lesquels le traitement est décrit (19/44), le plus couramment administré était une association de ciprofloxacine et de métronidazole par voie orale (11/19), associée à un inhibiteur de la pompe à protons (8/11) ou un antiacide (2/11). Parmi les 10 cas pour lesquels un suivi a été rapporté, le traitement a été efficace pour neuf d’entre eux (1).

Des bactéries morphologiquement indiscernables de S. ventriculi ont également été associées à plusieurs cas de dilatation gastrique chez des chiens, des chevaux et des chats (4,5), et dans le cas des ruminants à une abomasite emphysémateuse et un ballonnement de l’abomasum chez des veaux laitiers et des agneaux (6,7).

Juliette di Francesco, Médecin vétérinaire, Centre d’épidémiologie et santé publique des armées.

Jean-Paul Boutin, Médecin de santé publique, SFMTSI et GISPE.

Cet article engage ses auteurs et ne reflète pas nécessairement le point de vue de la SFMTSI.

Sources :
  1. Owens LA, Colitti B, Hirji I, Pizarro A, Jaffe JE, Moittié S, et al. A Sarcina bacterium linked to lethal disease in sanctuary chimpanzees in Sierra Leone. Nat Commun. 2021;12: 763. doi:10.1038/s41467-021-21012-x
  1. Boyle L. Newly discovered bacterium linked to fatal chimp disease could jump to humans, research suggests. 5 février 2021. https://www.independent.co.uk/news/world/africa/chimpanzees-covid-virus-bacteria-b1797836.html
  1. Al Rasheed MRH, Senseng CG. Sarcina ventriculi: Review of the Literature. Arch Pathol Lab Med. 2016;140: 1441–1445. doi:10.5858/arpa.2016-0028-RS
  1. Im JY, Sokol S, Duhamel GE. Gastric Dilatation Associated with Gastric Colonization with Sarcina-Like Bacteria in a Cat with Chronic Enteritis. J Am Anim Hosp Assoc. 2017;53: 321–325. doi:10.5326/JAAHA-MS-6503
  1. Vatn S, Gunnes G, Nybo K, Juul H. Possible involvement of Sarcina ventriculi in canine and equine acute grastric dilation. Acta Vet Scand. 2000;41: 333–337.
  1. Kruiningen HJV, Nyaoke CA, Sidor IF, Fabis JJ, Hinckley LS, Lindell KA. Brief Communication: Clostridial abomasal disease in Connecticut dairy calves. Can Vet J. 2009;50: 4.
  1. Vatn S, Tranulis MA, Hofshagen M. Sarcina -like bacteria, Clostridium fallax and Clostridium sordellii in Lambs with Abomasal Bloat, Haemorrhage and Ulcers. J Comp Pathol. 2000;122: 193–200. doi:10.1053/jcpa.1999.0363

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